L’artiste

Je suis née en Bretagne et j’ai grandi a Doëlan. Ce petit port de pêche a inspiré bien des peintres et écrivains comme Benoît Groult.

Nous étions huit enfants dans ce lieudit, nommé Ty-Forn. Ma mère était institutrice dans la petite école du village et mon père était peintre/sculpteur, connu localement plus particulièrement pour la statuaire religieuse. Il donnait aussi des cours d’art plastique au lycée de Quimperlé.

Nombreuses de ses œuvres, dont des statues et des calvaires en granit et en bois, décorent les églises et chapelles de Bretagne, la côte mais aussi des églises dans plusieurs villes de France.

Étant petite, j’avais beaucoup d’admiration en regardant mon père frapper le burin sur la pierre dure. Comme par enchantement, apparaissaient du bloc, le visage d’une Madone ou le cheval de Don Quichotte.
Je pouvais passer des heures à la forge, fascinée par les gestes de mon père, tapant le burin rougi par le feu. Il avait l’air d’un dragon.

Don QuichotteLa maison accueillait toujours beaucoup de gens. Nous vivions dans une «harmonie chaotique», avec la visite fréquente d’artistes bariolés : peintres, écrivains, poètes, chanteurs…

Lorsque la maison était trop bruyante, ma mère nous amenait faire de grandes balades dans la nature.  Tout en marchant,elle nous apprenait les noms en latin des plantes et des oiseaux.
À la fin de la journée, nous chantions en chœur, les noms attachés les uns aux autres, comme un chapelet, pour ne pas les oublier. Lorsque mon père terminait une peinture, il rassemblait toute la maisonnée dans l’atelier. Pendant ces moments privilégiés, j’ai beaucoup appris sur la matière, le volume, la masse et le mouvement…

Dans mon enfance en Bretagne, un peintre, en particulier, attira mon attention : Max Bueno de Mesquita . Il était né à Amsterdam, il était juif d’origine Portugaise.
À l’age de 16 ans, son père l’emmena au Rijksmuseum, devant un portrait de ses ancêtres peint par Rembrandt. Il a décidé alors, de devenir peintre.
Pendant la guerre, Max a perdu presque toute sa famille. Lui-même a survécu Auschwitz. Max passait tous les étés chez nous pour travailler avec mon père.
Il souffrait régulièrement de fortes dépressions, mais dans mes souvenirs de petite fille, je le revois faire le clown jouant avec sa longue mèche qu’il enroulait autour de son crâne chauve…
Il mourut en 2001 à Amsterdam.  C’est l’impact de cette rencontre sur mon esprit d’enfant, qui m’a orienté tout naturellement vers les Pays-Bas.

Corinne Boureau s’est installée en Bretagne en 2020.

NOTRE LUMIÈRE COMMUNE

Congrès ‘Spirituality and Sustainability’
Hongrie septembre 2012

L’histoire de l’homme commence dans un jardin.
Le jardin germe d’une graine infiniment petite.
Ce pépin, pourvu de magie savante, contient
la matière, l’énergie, l’espace et le temps.
‘Le temps des rêves’… C’est ainsi que les Aborigènes nomment les ténèbres primaires, antérieures au Big Bang.

Certains rêves sont audacieux et sans limites…
Le pépin gonfle, explose, se distend, donnant naissance au temps.
Les étoiles, les galaxies et notre système solaire s’organisent.
La promesse mirobolante s’accomplit enfin lorsque des pluies de poussière d’étoiles ensemencent les océans primitifs. La lumière blanche des étoiles, énergie pure, débute la vie sur terre qui apparaît sous la forme d’une algue. Or, il se trouve que cette ‘algue-mère’ contient dans sa cellule les couleurs de l’arc-en-ciel. C’est donc, aux atomes forgés dans les constellations que l’on doit la couleur qui représente le passage à la vie.

D’abord est né le vert : La chlorophylle est un pigment vert naturel présent dans les cellules végétales, dont le rôle est essentiel dans le processus de la photosynthèse. Le vert arrive donc bien avant le poisson et l’oiseau car elle est la couleur de l’origine.

Les anciennes cultures connaissaient déjà la relation entre la vie et la lumière. Les couleurs et l’énergie.
Nous sommes des êtres issus de la lumière.
L’oeuvre de la vie a voyagé à travers l’intuition mystique de nos ancêtres, mais elle garde quelque chose d’impénétrable et d’insaisissable, comme toute œuvre de génie.

Les savoirs ancestraux sont transmis à travers les mythes et les contes, mais aussi à travers l’étymologie des mots. Ceux-ci nous éclaire sur la naissance du monde et des hommes et nous entraîne parfois vers des découvertes surprenantes.
Prenons le mot couleur. Couleur vient du mot latin color et son étymologie nous aide à remonter à la source même de la vie.
Color se rattache au groupe: celare qui veut dire : cacher, tenir secret, dérober aux yeux, à la connaissance…Se peut-il que le mot couleur contienne le fabuleux secret de la création du monde et que ce mystère doive rester à jamais inaccessible ?

Les végétaux et leurs couleurs ont enraciné leur énergie au plus profond des tissus du vivant planétaire. Dans le sang de l’homme se glisse le sel de la mer qui fut autrefois notre mère, mais coule aussi la lumière et l’ombre de la plante…

Notre valeur commune c’est la nature. Source de lumière, elle nous recentre dans l’univers et nous invite à la quête du sens et dilate nos sens. Si nous restons à son écoute, l’ouverture qu’elle donne sur l’imaginaire, la spiritualité et la beauté, peut nous aider à créer une humanité respectueuse et harmonieuse.

Avec l’émergence de la conscience, l’être a pu contempler le jardin. La relation de l’art et de la beauté de l’univers est aussi vieille que l’humanité. Associant des couleurs et en alignant des mots, explique l’astrophysicien Hubert Reeves, l’homme poursuit l’activité créatrice que la nature déploie depuis 15 milliards d’années.

Je me rappelle les tatouages sur la peau d’un homme Maori en Nouvelles Zélande. Le dessin semblait être inspiré par un tronc de fougère arborescente et il aurait pu être interprété ainsi : « Je suis la fougère, je suis l’arbre; la nature est moi, et je suis la nature… » Alors je me suis fait cette réflexion:  » Cet homme Maori porte sur lui les signes inscrits dans la mémoire collective, il a tracé sur sa peau ce que savaient les anciens: la nature fait partie de nous, elle est indélébile et c’est quelque chose que je ne dois jamais oublier ! »
Portée par cette révélation, le désir d’explorer cette mémoire m’est venue.
À travers mes peintures et mes sculptures à l’instar du conteur, je tente de faire resurgir des images du passé, que j’imagine profondément ancrées dans notre corps. Je cherche à faire revivre ce que nous n’avons pas connu mais qui est enfui au tréfonds de notre âme. Les similitudes entre l’homme et la plante ne s’offre pas d’emblée, au regard, puisque les empreintes ancestrales sont cachées sous le voile silencieux de la nature. Pourtant, notre savoir est lié à quelques petites choses près de nos yeux. Je pense au sel de nos larmes, souvenir d’un temps révolu, à la similitude de la palme de notre main qui s’ouvre et se referme pareil à une fleur, à nos cinq doigts et aux cinq pétales du bouton d’or ou aux bras d’une étoile, à nos veines et aux rameaux des arbres, à nos os et à la pierre. La nature a déposé des signatures au cœur des choses. Elle s’inscrit en l’être humain et l’être humain s’inscrit en elle.

Dans l’imagerie de mes oeuvres, les corps de mes mystérieuses divinités incarnent le principe féminin d’où découle toute fécondité et toute force créatrice. Elles représentent la création de l’univers et les forces immanentes à la vie sur terre. Mes déesses sont le point de convergence du monde qui les entoure, c’est-à-dire du règne végétal, animal et minéral. En somme, elles sont les mères de la nature toute entière, et me font renouer avec les traces silencieuses de l’écoulement des âges.
Dans ma peinture, une métaphore en appelle une nouvelle. Des images inépuisables m’immergent, dévoilant le message de l’invisible. Le pied devient racine, la chevelure feuillage et les bras des rameaux. J’invente des tatouages de branches fleuries. Sensuelles, les lianes embrassent les corps, la sève jaune de l’herbe coule sous la peau des visages. Je me figure des coiffures insolites. J’ai envie que les oiseaux viennent se poser dans les branchages de nos cheveux,que les merles ou les moineaux viennent s’y nicher… Je m’émerveille devant les proportions divines du coquillage et de l’escargot. La nature, sublime et généreuse, envahie mes sens et je deviens esthète, toute à la contemplation de cette magnificence.

Enfant, les plantes et les animaux m’ont nourrie, dans les deux sens du terme. Car ils ont aussi alimenté mon imagination : la mésange, l’orchidée sauvage, la baleine, le grizzly… Autant d’émotions encore vivaces!

Pour les enfants à venir nous nous devons de protéger ce patrimoine naturel et culturel.
À chaque disparition d’espèce, l’homme mutile profondément son imaginaire. Avec les ours blancs, il perd un morceau de sa fantaisie. Avec le séquoia géant, il ampute sa propre liberté…

MacMillan, ornithologue américain du début du 19e siècle, alertait déjà le monde en écrivant :
« Il faut sauver les condors non pas seulement parce que nous avons besoin des condors, mais parce que nous avons besoin de développer les qualités nécessaires pour les sauver ; car ce sont ces qualités-là dont nous aurons besoin pour nous sauver nous-mêmes. »

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