Article parut dans le Télégramme de Quimper
Comment vous est venu ce roman ?
Je suis artiste peintre depuis de nombreuses années. Je me suis donc toujours sentie l’âme d’une conteuse, puisque les couleurs et les formes racontent une histoire. Mes peintures et mes sculptures sont imprégnées de ma relation intime et puissante avec la nature. A travers l’image, je cherche à transmettre des émotions pour faire passer un message. En partageant avec d’autres la beauté et la poésie de la nature, son abondance et sa richesse, je partage aussi des émotions que les gens reçoivent et reconnaissent en eux et avec lesquelles ils entrent en résonance. Et parce que l’on cherche à protéger ce que l’on aime, si la beauté de la nature que l’on a entrevue nous touche, on cherchera à préserver.
Un jour, les couleurs ne m’ont plus suffit à satisfaire mon imagination débordante. J’ai donc saisi la palette des mots.
L’idée du roman m’est venue en découvrant le film » Séraphine » de Martin Provot. J’ai été immédiatement fascinée par cette artiste que mes livres d’art avaient passée sous silence.
A mon grand étonnement, je me suis aperçue qu’il n’y avait pas de roman sur sa vie.
Un film et de poignantes bibliographies sur Séraphine existaient déjà. Il fallait donc mettre « ma propre musique » dans ce futur roman.
Je vis aux Pays-Bas depuis l’âge de dix-huit ans, mais, la Bretagne, ma terre natale, reste ancrée au plus profond moi. C’est donc tout naturellement que l’idée d’enraciner mon personnage en Bretagne est née. J’ai voulu que l’épopée se déroule, plus précisément, dans le Finistère et que « ma » Séraphine naisse à Doëlan. Son destin l’amènera près de la pointe du raz, dans un couvent dans lequel elle restera vingt ans, pour s’installer ensuite, dans le bourg de Clohars-Carnoët.
Pourquoi ne pas avoir inventé un personnage ?
En découvrant Séraphine, je me suis souvenue des femmes de ménage qui ont défilées dans notre maisonnée, durant toute mon enfance.
Je pense en particulier à l’une d’entre elle. Elle s’appelait Anna. Physiquement, Anna ressemblait beaucoup à Séraphine de Senlis: le nez épaté, les yeux clairs, des cheveux bouclés, décolorés, une silhouette très tôt, abîmée sans doute par la malnutrition, les travaux pénibles…
Je me souviens de ses grosses mains calleuses et rouges, esquintées par les lessives dans les eaux gelées du lavoir. C’était une femme discrète, un cœur simple comme la servante du conte de Gustave Flaubert intitulé : » Un coeur simple « .
C’est alors que je me suis aperçue que je ne savais rien de sa vie.
Dans la vie, on côtoie des gens que l’on croit connaître. On ne les écoute pas vraiment, on ne cherche pas à savoir qui ils sont, s’ils se posent des questions, ce à quoi ils aspirent…
Anna et Séraphine représentent ces personnes que l’on ne voit pas.
Le talent de Séraphine aurait pu passer inaperçu, si par le plus grand des hasards, son chemin n’avait pas croisé le collectionneur Wilhelm Uhde.
Lors de mes visites au Musée de Senlis, j’ai découvert les toiles de Séraphine. J’ai essayé de deviner, en vain, le secret de ses couleurs. Et puis, son fabuleux destin m’a profondément touchée et j’ai ressenti le désir de donner une voix, à celle, qui avait eu si peu de mots.
Quand je pense à Séraphine, je ne peux m’empêcher de la comparer à une petite graine.
Une graine est une promesse en soi, celle de devenir une plante et éventuellement un grand arbre. Le pépin peut rester des années endormie dans la terre, jusqu’au jour où les conditions sont propices pour advenir. Séraphine, qui ne savait rien du monde, portait en elle le germe de son œuvre immense.
J’ai pris un très grand plaisir à décrire son œuvre. Œuvre à la fois, sublime et déroutante. Déroutante, parce que les plus tardives de ses toiles portent en elles le message de la folie, de l’angoisse et de la solitude. C’est une œuvre très puissante, d’un fougue et d’une vitalité débordante, que l’on compare souvent aux peintures de Van Gogh.
Pour l’écriture, vous reprenez un peu de votre propre histoire : vous la faites naître à Doëlan, comme vous, comme elle, vous peignez. Vous et Séraphine partagez bien des choses » l’amour de l’art, la foi, le goût pour la matière ?
Je pense que pour construire un roman l’inspiration vient de partout.
Bien sûr, on va chercher en soi toutes les choses qui nous ont traversées. Ces choses sont faites de tout ce que nos sens ont glanés – et glanent encore – depuis notre enfance. Les souvenirs se tissent à la fiction et au bout du compte, un roman est une superbe illusion.
La Bretagne et l’atmosphère de cette terre mystique conviennent parfaitement à l’histoire de Séraphine.
Tout au long de ces trois années d’écriture, je me suis sentie très proche d’elle, dans cet appel irrésistible de la nature que nous partageons toutes les deux. Durant tout un été, j’ai expérimenté l’obtention des couleurs en mélangeant de la terre et des plantes et en tentant de percer le secret de son modus operandi. Le résultat a été désastreux, je n’ai obtenu que des tons ternes et quelconques.
Quant à la foi, Séraphine était habitée par une dévotion monacale. La Vierge était pour elle un modèle de sainteté, qui était suffisamment humaine pour être abordable.
Personnellement, je pense que le hasard intervient dans l’explication de l’origine du monde. C’est pour cela que je me sens plus proche du personnage d’Azénor et de sa pensée philosophique.
Votre roman à quelque chose d’initiatique ( à mon avis )… Vous consacrez de belle page à votre héroïne lorsqu’elle découvre la fabrication des couleurs, son besoin de franchir des distances pour trouver du kaolin. Tout au long du livre, il semble qu’elle soit en quête de couleurs ?
Nos larmes sont salées, elles contiennent un peu d’eau de mer qui fut notre mère dans un temps révolu. » le vert était là bien avant tout le monde » dit le personnage d’Azénor, soulignant le rôle initial de la plante dans l’origine de la création. Azénor et l’ange sont encore attachés à l’âme du monde, ils révèlent à Séraphine la connaissance des choses cachées.
Pourtant, c’est elle, et elle seule, qui découvre la plante ou la glaise pour élaborer ses couleurs.
Séraphine, habitée par son œuvre, menait une double vie : le jour elle était servante et la nuit, elle peignait dans l’euphorie. Elle se faisait violence, se privant de tout pour offrir ses tableaux à la vierge. Dans ce sens, sa peinture était un vrai sacerdoce. Elle a souffert le martyr au nom de la foi.
Elle créait des bouquets de fleurs pour la Vierge, la fleur étant la métaphore de la maternité divine. Elle travaillait la pâte sombre de ses toiles comme une ‘ terre mère ‘ prête à enfanter la vie. En concoctant ses couleurs, elle cherchait à capter une lumière divine, garde-fou contre les ténèbres, l’indigence et la noirceur du monde. Ses bouquets, chargés d’allusions spirituels sont comparés aux natures mortes des peintres Flamants, dont elle n’a jamais eu connaissance.
La peinture de fleurs peut aussi symboliser la brièveté de la vie, idée illustrée dans un verset du livre de Job :
” Pareil à la fleur, l’homme s’épanouit et se fane, il s’efface comme une ombre… ”
On se dit, tout de même, que si Séraphine était née en Bretagne, son œuvre aurait été fort différente, vous le dites d’ailleurs, cela vous a-t-il posé question ?
Je suis persuadée que l’œuvre de Séraphine n’aurait pas été différente si elle avait vécu en Bretagne.
Elle vivait dans ses rêveries. Isolée du monde, elle n’écoutait que sa voix intérieure. Depuis qu’elle était toute petite, elle connaissait le langage des arbres, des oiseaux et des plantes.
Au couvent, on peut imaginer que les récits de la religieuse Rosalie ( en mission dans les colonies ) ont influencé
Séraphine. La sœur décrivait la végétation luxuriante de Ténériffe : » Dans cette île, on y voit des fleurs et des fruits sur le même arbre… »
Les arbres de vie de Séraphine empruntaient aux cocotiers et aux palmiers leur stipe, qu’elle hérissait de fruits, de plumes et de fleurs.
Pourtant, elle affirmait qu’elle n’inventait rien. L’ange lui soufflait les visions paradisiaques.
Ce ne fut pas ses parents qui choisirent de l’appeler Séraphine, mais le docteur. Elle même, trouvait ce nom bien trop beau pour elle.
Le prénom « Séraphine » évoque les anges. C’est un prénom chargé de significations. Cette connotation de chérubin est importante pour pouvoir comprendre l’art de Séraphine.
Selon la tradition chrétienne, les Séraphins sont les premiers dans l’ordre des anges. Ils sont au plus prêt de Dieu. Pénétrés de son amour, ils chantent à ses côtés.
Il faut aussi mentionner la sainte Séraphina de Toscane, patronne des handicapés mentaux. Chose troublante, tout comme Séraphine, la sainte a vécu dans un couvent, sans jamais prendre l’habit. Son destin a été marqué par l’exclusion et une souffrance existentielle.
Avez-vous un autre livre en chantier ?
Mon prochain roman est en court d’écriture. Il évoque la venue des esclaves en Basse-Bretagne.
L’histoire, basée sur des faits historiques, se déroule dans un village breton du 18e siècle, quelques années avant la révolution. Dans ces temps reculés, on avait aucun scrupule à déraciner ni des arbres millénaires ni des hommes…
Le Télégramme Quimper – 8 mai 2014
*LIEN POUR COMMANDER LE livre :
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41620
Musées de Senlis Oeuvres de Séraphine de Senlis